Jacques Vuillermet : « Tous les multimarques sont en train de mourir »
Par Christel Divert – 4 octobre 2018
Jacques Vuillermet est une figure du retail dans la région Rhône-Alpes. En 1990, il a ouvert un premier magasin multimarque à Chambéry. Aujourd’hui âgé de 57 ans, il est à la tête de 34 magasins de prêt-à-porter et chaussures dont des succursales Esprit, Tommy Hilfiger, Lacoste et bientôt Polo Ralph Lauren. Son groupe emploie 150 salariés. Il livre aujourd’hui àFashionNetwork.com son point de vue sur le secteur et ses problématiques.
Jacques Vuillermet est à la tête d’une trentaine de magasins en Rhône-Alpes – DR
FashionNetwork.com : Vous avez eu une rentrée chargée. Pouvez-vous nous indiquer les changements récents dans votre réseau de succursales ?
Jacques Vuillermet : Nous avons agrandi la boutique Tommy Hilfiger à Chambéry, fermé l’ancien magasin de 100 m2 et nous avons transformé la boutique Tom Tailor de 300 m2 en Tommy fin août. Par ailleurs, nous préparons l’ouverture d’une franchise Polo Ralph Lauren à Lyon. Ce sera l’une des premières en Europe (une autre franchise Polo va ouvrir à Chambéry, ndlr). Elle fera 150 m2 dans la rue de Brest, sur la Presqu’île, là où se trouve notre franchise Tommy. Si ça se passe bien avec Polo, la direction va me laisser la possibilité d’en ouvrir d’autres dans la région Rhône-Alpes.
FNW : Vous avez profondément modifié la structure de votre réseau de magasins depuis quelques saisons. Comment avez-vous procédé ?
JV : J’ai effectué un refitting, un recentrage de mon réseau en me focalisant sur le moyen-haut de gamme. Seul Esprit reste sur le bas-moyen de gamme. J’ai failli arrêter avec eux parce que je n’étais plus convaincu par l’offre, mais l‘arrivée d’un nouveau patron en juin avec un vrai programme de relance m’a donné envie de continuer. A Chambéry, j’ai scindé en trois l’un de mes anciens magasins multimarques qui faisait 400 m2, fin 2017, pour en faire trois magasins : American Vintage, Des Petits Hauts et Lacoste.
Je m’adapte au marché en proposant également des pop-up stores : l’un avec Schott dans le centre de Chambéry, depuis la fin août jusqu’à fin janvier, et avec Oakwood, dans la galerie commerciale Chamnord à Chambéry, également pendant cinq mois. En parallèle, je vais fermer mes multimarques WTN et Elite de la rue de la Juiverie, toujours à Chambéry, pour rassembler l’offre sur un espace de 400 m2 qui s’apparentera plus à un concept store en janvier. C’est symbolique car je quitte ainsi la rue où j’ai fondé mon premier magasin multimarque en 1990, mais c’est une nouvelle étape. Il y aura aussi bien des vêtements, des chaussures, de l’accessoire que des produits complémentaires comme des bougies. Le magasin s’appellera Happy Dressing. Les noms de mes anciens multimarques étaient associés aux « magasins de papa et de maman ». Il fallait faire peau neuve, notamment pour les plus jeunes. La restructuration de mon réseau va me permettre de réduire mes coûts de 250 000 euros par an.
L’un des anciens multimarques de Chambéry a été scindé en trois succursales – DR
FNW : Votre réseau est désormais davantage tourné vers l’homme que vers la femme ?
JV : Jusqu’en 2008, la croissance des ventes était portée par la consommation féminine. Depuis, la consommation féminine est en perte de vitesse. L’homme reste assez basique dans son comportement : il est, en général, plus fidèle et plus prévoyant. S’il a un bon salaire, il va acheter une voiture allemande et un polo de marque qui flattent son ego. Finalement, sur l’homme, par exemple, la clientèle qui peut s’offrir un polo à 100 euros est importante. C’est une sorte de ticket d’entrée sur une marque. Sinon, ceux qui ont moins de moyens vont attendre les soldes. La femme, elle, achète plus de produits et plus souvent, et un peu partout. Le marché de mode masculine est plus stable, surtout sur le moyen-haut de gamme. Ceci dit, c’est vrai que les hommes ont changé et qu’ils font aussi plus d’achats coup de cœur, que ce soit pour les vêtements et les accessoires.
FNW : Sous-entendez-vous que nous assistons à la mort des multimarques tels que nous les connaissions ?
JV : En effet, tous les multimarques sont en train de mourir. C’est un modèle qui ne fonctionne plus. Il ne va en rester que très peu, axés sur la mode, pointus, mais c’est un parti pris plus risqué. Depuis 2008, la part des multimarques dans mon réseau ne fait que baisser. Dans la chaussure, j’avais trois multimarques, mais les ventes ont chuté avec la croissance des ventes en ligne. J’en ai donc fermé deux. En parallèle, les franchises ont fait beaucoup de progrès, même des enseignes comme la Halle aux Chaussures ou Gémo. Avant, ça ne donnait pas envie. Maintenant, leurs magasins sont beaucoup mieux.
En 2008, mon activité se répartissait à 50-50 entre les multimarques. Désormais, mes franchises et autres magasins affiliés représentent 88 % de mon chiffre d’affaires annuel. En 2017, sur notre dernier exercice, ce chiffre d’affaires s’élève à 25 millions d’euros, soit 20 millions d’euros HT. Je peux difficilement évoquer l’évolution des résultats comparée à l’année précédente. Nous avons progressé, mais les surfaces de vente ont également augmenté.
Le magasin Tommy Hilfiger de Chambéry a ouvert fin août – DR
FNW : L’avenir est donc aux magasins en succursale ?
JV : En effet. La franchise impose un bon emplacement pour avoir du trafic, mais si vous avez le bon emplacement et la bonne enseigne, c’est une excellente formule. Pour un détaillant, l’un des principaux problèmes est le retour de marchandises. Dans nos magasins, nous organisons des braderies avec des remises allant jusqu’à -60 %, mais aujourd’hui, ça n’attire pas les foules. Les gens ne savent plus ce qui est un bon prix, à quoi cela correspond. Les franchises représentent une sorte d’eldorado comparé aux lourdeurs de la gestion d’un magasin multimarque indépendant. Les enseignes reprennent les stocks. Elles assurent la communication… Certes, ça ne fait pas tout, mais ça nous aide énormément au quotidien.
FNW : Quels sont les dysfonctionnements du marché ?
JV : Je pense qu’il y a trop de tout : de marchandises, de marques, de promotions. J’estime qu’il y a 30 % d’offre en trop. D’autant que la consommation de vêtements a baissé. Nous le ressentons vraiment depuis 2008. Mis à part le groupe Zara, il y a assez peu d’enseignes qui cumulent chaque année les bonnes performances. Aujourd’hui, 20 % des consommateurs achètent sur Internet. On ne va pas revenir en arrière avec le Minitel ! Donc, notre part de marché s’est réduite. Les jeunes, comme ma fille de 17 ans, achètent sur leur téléphone portable. Ils vont aussi bien faire leurs achats sur Asos qu’H&M.
Le groupe s’est même mis aux pop-up stores, ici avec Schott, à Chambéry – DR
FNW : Qu’est-ce qui fait le succès de certaines marques ou enseignes, selon vous ?
JV : C’est l’image. C’est fondamental. Les marques comme Lacoste, Tommy Hilfiger et Ralph Lauren ou Sandro et Maje maîtrisent l’image et proposent un luxe accessible dans l’air du temps. Ces marques font de bons produits et savent communiquer. Elles sont aussi portées par des dirigeants qui ont une excellente connaissance du marché et une vraie vision. Daniel Grieder en est l’illustration parfaite chez Tommy Hilfiger. Cet homme est à l’origine du succès de la marque. Il maîtrise tous les paramètres pour que Tommy soit désirable. En plus, quand un produit se vend bien comme la doudoune femme de Tommy Jeans, la marque la laisse à 200 euros quand d’autres marques ou enseignes vont augmenter le prix des produits qui plaisent. Le succès des marques est toujours lié à une histoire d’hommes, enfin, dans le sens générique, à une histoire humaine.
Par Christel Divert
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